samedi 2 septembre 2017

Au rythme où va la Chine...

Erenhot, le 5 août 2017

Le business du passage frontière et la fouille sauvage de nos sacoches pendant notre absence nous aurons rappelé de vagues souvenirs inconfortables d'une entrée en Chine quelques années auparavant...

Nous entrons dans la partie chinoise du Gobi, ou du moins... Est-ce encore un désert ? Des avenues arborées et luxuriantes s'ouvrent devant nous.
Erenhot, une ville à la chinoise. Neuve et gigantesque, où les immeubles semblent pousser aussi vite que les fruits et légumes dans les champs alentours, et que les fleurs dans les parcs, irrigués par des kilomètres de tuyaux qu'une nappe souterraine inattendue vient innondent en masse. Décontenancés par un tel contraste avec l'aride steppe mongole, nous remplissons soigneusement nos poches à eau, pendant que les citernes de la ville vont et viennent pour arroser à flot les terre-pleins et les boulevards. Au milieu du Gobi...

D'une Mongolie sobre et rationnée, la traversée des premières villes chinoises nous plongent dans l'oppulence. Des échoppes par centaines. Fourmillement, activité incessante. Baguettes et deux-roues électriques des plus ingénus font leur entrée. Des centaines d'éoliennes et des kilomètres de lignes à haute tension habillent un désert qui n'en a plus l'air.
Un confort de vie qui explose tout à coup. Des monticules de consommables qui irriguent des villes étincelantes et verdoyantes en plein désert, qui laissent imaginer les coûts sociaux et environnementaux qu'ils masquent... Trop riche pour être honnête ? Difficile de ne pas repenser à notre propre niveau de développement en France, et à ce que nous avons fait pour en arriver là...

Nous retrouvons les traits de visage d'une Chine qui nous avait tant troublé la dernière fois. Des villes neuves ou modernisées, des immeubles vides par centaines, des caméras à chaque coin de rue et des bases militaires près des frontières. Oyghurs à l'est, tibétains au sud, mongols au nord : même combat. Uniformisation de l'habitat et des modes de vie. Les maisons en dur remplacent les yourtes relayées au rang du folklore, et des centaines de kilomètres de clôture parquent les troupeaux éparses.
"Let's be together a civilized city". Nous retrouvons les mêmes panneaux qui montrent les avancées qu'apporte le gouvernement auprès des minorités. Machines à laver et cartes d'identité.

In extremis, nous découvrons l'intérieur des nouvelles maisons des Mongols de Chine. Nous croquons une dernière fois dans une ships mongole, en regardant le portrait de Gengis Khan qui trône au milieu du salon. De la Mongolie à la Chine, voilà comment peut évoluer la destinée d'un peuple selon le système qui les gouverne...

Nous quittons la Mongolie intérieure, et traversons de nouveaux villages chinois. Sortes d'habitats intensifs, qu'il est difficile de reconnaître parmi les hangars agricoles des coopératives d'État à la chinoise. Kolkhozes modernes.
À l'entrée, un panneau nous informe : "China powerty allevation". Dans toute la Chine, la même ligne directrice : élever le niveau de vie de toute la population. Avec une teinte de communisme : mêmes standards pour tout le monde.

Nous restons stupéfaits par cette Chine à deux vitesses. D'un côté, le gouvernement tire le développement vers le haut en déployant de nouvelles infrastructures, en sensibilisant aux règles de bonne conduite, au civisme, et à la conscience environnementale. D'un autre, les populations de toutes ces villes et villages qui ne semblent pas être en mesure de suivre le rythme. Un virage culturel et sociétal qui est en marche, mais qui prendra encore quelques générations. Au rythme où change la Chine, qu'en sera-t-il dans moins d'une décennie ?

Quel étrange sentiment donc, de revenir dans ce pays que nous reconnaissons, mais qui pourtant nous renvoie de toutes autres sensations.
Nous posons les vélos l'instant de faire le point sur les courses à faire ou sur la route à prendre, lorsqu'une, puis deux... puis dix personnes s'attroupent autour de nous. Les téléphones sortent un à un, et nous nous retrouvons sous les yeux curieux et les sourires généreux des chinois enthousiastes. Nous recevons à boire et à manger, on nous invite au restaurant...

Pékin se rapproche, et nous tenons à rencontrer ceux qui habitent ces villages reculés.
Après de longues palabres entre eux, nous pouvons enfin planter la tente à côté d'une des maisons. D'abord désorientés et déconcertés, les villageois s'aventurent les uns après les autres vers ces deux étrangers qui vont dormir ici. Ils scrutent, examiner, inspectent. Ils touchent nos sacoches, ouvrent notre tente. On nous ramène quelques provisions, avant de disparaître dans la pénombre des ruelles.
Nous sommes encore dans les vapeurs d'une nuit trop courte lorsque nous entendons les premiers bourdonnements. Ça cause, ça renâcle, ça crache. "Nichao?!" Je rêve. C'est le jeu, mais je peine à l'assumer. Chercher les villages, ça veut dire aussi accueillir les villageois, pour satisfaire leur curiosité avant leur départ au travail. Y compris à 5h du matin, après une nuit d'orage. Se montrer, la bouche en cœur. Quel exercice fastidieux... Si on nous avait prévenu de la curiosité des indiens, personne ne nous avait mis au courant de l'indiscrétion des chinois des campagnes... Xavier ouvre la toile de tente, une dizaine de villageois nous attendent. Nous nous regardons tous les deux et, la mâchoire de travers, nous rassurons... "Faut pas s'étonner, quand on a pas une gueule comme tout le monde..." (dixit Fernand Reynaud le sketch de la bougie - clin d'œil Cacal et Coco!)

Têtus et téméraire, nous retentons notre chance avant d'entrer dans les montagnes au nord de Pékin, où s'étirent les vestiges de la Grande muraille.
Ce soir, comme à d'autres occasions, les jeunes chinois nous surprennent par leur hospitalité et leur ouverture. Comme soucieux et responsable de l'image de leur pays à l'international, ils mettent tout en œuvre pour nous aider. Conscients de cette Chine à deux vitesses, de l'emballement du système et des défis à venir, leurs témoignages nous dévoilent d'autres aspects de la Chine moderne. La concurrence permanente au sein d'une société en surnombre. Ici plus qu'ailleurs semble-t-il, il faut être créatif et aller très vite. La culture de la "copie" à la chinoise, y compris à l'intérieur du pays, ne fait qu'accélérer cette tendance qui est en cours à l'échelle mondiale...

Pékin, le 20 août 2017

Nous quittons l'opulence des forêts verdoyantes, leur floppée d'araignées géantes et les criquets au chant métallique, pour nous enfoncer dans les boulevards arborés d'une capitale qui semble toute neuve.
Les deux roues s'emparent des routes cyclables qui accompagnent les voies rapides. L'exode rural et la croissance continuant, comme dans toutes les villes de Chine que l'on a traversé, les vieux quartiers sont démolis, et les vieux hutong autour de la Cité interdite s'effacent derrière les nouvelles barres d'immeuble.
L'accueil des jeux olympiques en 2008 a accéléré la métamorphose de la capitale, un réseau de métro colossal a été déployé, et des hectares de champs ont été bétonnés. D'immenses stades et salles de sport inutilisées depuis 10 ans, qui servent de lieu touristique en attendant. Des businessmen aux recycleurs de carton, Pékin résume à elle seule les multiples facettes d'une société chinoise en plein changement.

Le délai d'obtention du visa indien nous permet de rester 2 semaines à Pékin. Les accueils successifs des jeunes chinois nous permettent de creuser les discussions...
Le cahos sociétal et culturel post-Mao a mis sur pause une Chine en plein essor. Dix années de dormance qu'il fallait rattraper à tout prix. S'enrichir, et égaler le niveau de vie des pays développés.
À l'instar des dictatures, le droit de vote n'existe pas en Chine. Pays des plus capitaliste au monde, mais qui garde le terme de régime "communiste" en ce sens que seul le Parti dirige et applique les mêmes règles dans tout le pays. Une gestion d'Empire, qui mise avant tout sur le contrôle et la sécurité pour assurer la stabilité et l'efficience d'un pays qui englobe de nombreuses minorités.
Enregistrement, censure et surveillance, rayons X et contrôle des passagers. De la puce RFID à l'entrée du métro aux dispositifs de reconnaissance faciale et rétinienne au pied des immeubles, tout le quotidien semble avoir été informatisé et numérisé.
Si tous ces dispositifs n'en finissent plus de nous choquer (l'apothéose étant lorsque la banque nous a demandé notre numéro de sécurité sociale ou fiscal français pour un changement d'argent dérisoire), les chinois nous répondent qu'ils y sont habitués. Troublante impression d'observer ce que sera la France dans quelques années. Le "modèle" chinois...

La main du Parti communiste sur les pays a fait sa force et l'a propulsé au rang des puissances mondiales qu'il a atteint aujourd'hui. Pas de palabres à l'échelle locale, pas de discussion entre partis. Les projets et orientations politiques se mettent en œuvre en un temps record. Une Chine où tout va si vite.

"WeChat", alors unique réseau social autorisé en Chine, est devenue l'application mobile la plus utilisée pour payer n'importe quelle dépense : à la poste, sur le marché des petits producteurs, pour louer un vélo dans la rue.
Il y a moins de 4 ans, l'application n'existait pas, et les vélos avaient presque disparus de la circulation, relargués aux pauvres recycleurs et paysans. Aujourd'hui, les autorités doivent faire face à une envollée des usagers à vélo, depuis la mise en libre location de vélo dans toute la capitale, par WeChat entre autres...
Une Chine où tout va trop vite.

Ralentir, préserver les traditions, exporter la culture, favoriser l'art et les créatifs, sécuriser l'alimentaire et réduire la pollution, telles sont les nouvelles ambitions d'un gouvernement après 30 ans de rattrapage économique fulgurant.
Des oyghurs, des tibétains aux mongols, une même politique territoriale sécuritaire et totalitaire, pour maintenir cet empire moderne. Quelques exceptions accordées aux minorités selon leur culture et leur religion, afin de mieux faire passer les directives du Parti, que les médias occidentaux ne relaient pas.

D'abord la Russie, puis la Chine. Voir un pays depuis l'intérieur et questionner les habitants nous fait changer de points de vue, et regarder différemment les pays que l'on traverse.
Comme souvent, plus on découvre, moins l'on sait où se situe la vérité...